Compte rendu par Rachel Debiée, doctorante Cifre-recherche en histoire de l’art, sur le vitrail chez Saint-Gobain
du catalogue d’exposition Un monde de lumières. Vitraux de Francis Chigot et de son atelier, [Limoges, musée des Beaux-Arts, 22 octobre 2022-12 février 2023 et Troyes, Cité du vitrail, octobre 2023-février 2024], sous la direction de Alain-Charles Dionnet, François Lafabrié et Martine Tandeau de Marsac, Paris, Lienart, Limoges, Musée des beaux-arts, 2022, 279 p. (ISBN 978-2-35906-388-2).
Un monde de lumière. Vitraux de Francis Chigot et de son atelier est une rétrospective de l’artiste limousin Francis Chigot. Cet événement s’est déroulé du 22 octobre 2022 au 12 février 2023 au musée des Beaux-Arts de Limoges et sera accueilli par la Cité du vitrail de Troyes d’octobre 2023 à février 2024.
Le catalogue, rédigé sous la direction de Alain-Charles Dionnet, François Lafabrié et Martine Tandeau de Marsac, est un bel ouvrage qui contribue à la reconnaissance d’un maître verrier et de son atelier limousin, actif durant toute la première partie du XXe siècle. L’ouvrage est rédigé par des spécialistes du vitrail ce qui lui confère une véritable place dans l’historiographie du vitrail du XXe siècle.
Tout commence par la justesse de la page de couverture : le vitrail qui l’illustre impose sa forme, quasiment carrée, au catalogue. Les verres blancs lumineux font références au titre, subtil avant-goût de ce qui est proposé tout au long de ce livre. Cette œuvre symbolise parfaitement, entre autres, le travail de Francis Chigot et de son atelier. En une image, la confection de vitraux civils, les tendances Art Déco et l’utilisation de matériaux nouveaux et éclectiques sont perceptibles. Ces verres évoquent l’esthétique que l’on retrouve tout au long du catalogue. Le travail du plomb est, aussi et ainsi, reconnu.
La page de remerciements indique que l’Association Francis Chigot a été très active dans la reconstitution de l’œuvre du maître verrier. Après la préface d’Hubert Védrine et l’avant-propos des commissaires de l’exposition, le livre est partagé en trois parties inégales mais qui se complètent. Ainsi, la lecture transversale est facilitée et elle peut être plus approfondie en fonction du besoin du lecteur.
La première partie se compose de sept essais écrits par des spécialistes du vitrail contemporain et de grands connaisseurs de Francis Chigot.
Le premier essai « Chronologie Francis Chigot, maître verrier à Limoges » est rédigé par la petite-fille de l’artiste, Martine Tandeau de Marsac. En tant qu’historienne, elle relate la vie de Francis Chigot et de l’atelier, qui traversent le temps malgré de sérieux conflits, dont les deux guerres mondiales et la crise de 1929.
Le deuxième texte « Le choix des verres dans le vitrail de Francis Chigot », écrit par Jean-François Luneau, montre l’évolution des verres utilisés dans le vitrail en France. Les œuvres de Francis Chigot sont remises dans leur contexte de création. C’est ainsi que l’on peut entendre parler de « verres spéciaux », chenillés, chamarrés, opalescents et bien d’autres qui sont à découvrir durant la lecture. Cet essai permet aussi de mettre en avant le travail des cartonniers.
Véronique David relate à travers « Le vitrail au temps de Francis Chigot : les brillantes années 1920-1935 », la dimension « art sacré » importante pour l’artiste. Au cours de ces années où il a beaucoup créé dans les églises, de 1920 à 1935, grâce aux chantiers d’après-guerre, il a aussi eu la volonté de réaliser des vitraux civils. Elle démontre ainsi l’importance de cet atelier qui se mesure à d’autres plus imposants de l’époque comme celui de Jacques Gruber ou d’Auguste Labouret.
Alain-Charles Dionnet commence son étude sur la « Reconstruction des édifices religieux et approche de l’art sacré par Chigot » par la reconnaissance de la place de l’atelier limousin durant la première reconstruction. Cette présence sur les chantiers de reconstruction lui a valu d’effectuer d’autres œuvres sacrées après la Seconde Guerre mondiale et de se relever du conflit.
Afin de bien comprendre le succès de ce peintre verrier et les relations qu’il a pu lier avec les autres ateliers, Bérénice Vallet propose d’expliquer « La participation du peintre verrier Francis Chigot aux Expositions internationales du XXe siècle ». Elle s’intéresse aux quatre expositions internationales importantes auxquelles il a participé. La lecture de cet essai permet de comprendre les évolutions stylistiques et techniques du vitrail contemporain de cette époque et le rôle qu’y joue l’atelier Chigot.
Francis Chigot et ses ouvriers ont aussi réalisé des restaurations de vitraux. Leurs grandes connaissances dans le travail, leur a permis d’obtenir des chantiers, surtout après la deuxième guerre mondiale. Karine Boulanger dans « Un restaurateur érudit : Francis Chigot à Poitiers (1934-1957) », raconte les tenants et aboutissants de ces chantiers qui font de Francis Chigot un grand restaurateur.
Le dernier essai intitulé « Des croquis aux cartons, des commandes aux couleurs : le fonds des maîtres verriers Francis et Pierre Chigot (1907-1956) conservé aux Archives départementales de la Haute-Vienne » est la description commentée du fonds d’archives de l’atelier. Celui-ci comprend des notes manuscrites, des pièces graphiques, des ébauches, des maquettes et bien d’autres documents. Alain Dubreuil indique ainsi la possibilité de les valoriser car les archives quasiment complètes d’un atelier sont exceptionnelles.
Pour compléter la lecture et pour entrer dans l’atelier de Francis Chigot, la deuxième partie, la plus volumineuse, répertorie cent dix-sept œuvres de l’atelier sur cent soixante-quatorze pages. Toutes les œuvres, vitraux et cartons, sont magnifiquement reproduites en couleur dans le catalogue. Dix thèmes ont été choisis pour leur regroupement et leur classement. Ils se composent ainsi :
- « “Composer des tableaux qui font la claire couleur de la vie” » raconte en images le travail du peintre verrier sur les vitraux civils qui étaient appréciés au début du XXe siècle et qui suit l’évolution de style de l’atelier.
- Le thème suivant, « 1907-1914 : des vitraux qui chantent de toutes leurs couleurs », met en avant l’Art nouveau par l’utilisation d’une palette haute en couleurs et de verres texturés. Une sensation de vibrations se dégage des œuvres.
- La partie sur « Francis Chigot, “paysagiste” » montre une appétence du peintre verrier pour les paysages tout au long de sa carrière. Le style évolue mais la prédilection pour ce domaine de représentation reste importante au sein de l’atelier.
- Le catalogue se poursuit par des exemples religieux dans « 1910-1930. Les vitraux religieux : le choc de la Grande Guerre ». Le vitrail religieux, jamais absent de la production de l’atelier, devient très importants pour les ateliers lors de la reconstruction d’après-guerre.
- Le thème « Vichy : une expression du rayonnement des vitraux de Francis Chigot » montre quelques chantiers d’envergures qui ont été exécutés dans une seule et même ville, Vichy. Il est intéressant de noter que ces réalisations appartiennent à trois types de commande possibles : civil, public et religieux.
- « “Une curiosité sans cesse en éveil” : Chigot face à la modernité » éclaire le lecteur sur la diversité de production de l’atelier, tant dans le style que dans les matériaux. Cette partie indique que Francis Chigot fait appel à d’autres corporations de métier (ferronnier, menuisier, céramiste) afin de diversifier son offre.
- « “Au premier rang des peintres verriers” : consécration et expositions internationales ». Ce titre annonce clairement le sujet abordé et les différentes œuvres qui ont été vues durant les salons et les expositions, apportant la renommée du peintre verrier.
- « 1925-1939. L’explosion Art Déco : Chigot, Parot ». Tout est dans le texte : la période, le style et la relation d’un peintre verrier et de son cartonnier privilégié. Cette collaboration est amplement évoquée dans les vitraux et les projets. Elle donne une profondeur supplémentaire au travail de Francis Chigot.
- « De Limoges au monde. Francis Chigot à l’international » aborde le rapprochement du peintre verrier avec le Canada, les États-Unis et l’Afrique du Nord pour des commandes religieuses. Il amène en même temps le sujet suivant.
- « Crépuscule et aube nouvelle. Les dernières années de Chigot et la reprise de l’atelier » montre les derniers travaux de Francis Chigot avant son décès et la reprise de l’atelier par les ouvriers. C’est ici qu’est mis en avant sa collaboration avec son fils Pierre.
Il est à noter que les différentes notices, complètes et très instructives, révèlent parfois quelques anecdotes intimistes. Ainsi, l’explication pour la vitrine éclairante conçue en 1924 indique que Francis Chigot est un « mélomane et musicien ». Il était aussi un amateur d’opéra. C’est à travers son métier qu’il évoque sa passion.
La dernière partie, la plus courte, se compose de trois annexes. Le glossaire permet de comprendre les termes techniques du peintre verrier. Il est organisé par thème afin d’offrir au lecteur non aguerri les clefs d’une compréhension plus poussée. La bibliographie retrace efficacement les lectures possibles sur ce peintre verrier. Qu’ils soient anciens ou récents, les ouvrages englobent une bonne partie des connaissances sur les vitraux du XXe siècle. Le tableau non exhaustif des chantiers réalisés par Chigot donne la localisation des œuvres de l’artiste à l’échelle mondiale. Il est ainsi, possible de continuer cette lecture par la visite de lieux emblématiques en France ou à l’étranger. Le tableau livre aussi les noms des cartonniers qui ont contribué au succès de Chigot.
En ayant été visiter l’exposition à Limoges, on retrouve dans ce catalogue les impressions de luminosité, la multitude de couleur et les jeux de matière. Mais on retient surtout la mise en valeur du travail des cartonniers qui ont aidé à la renommée de l’atelier et de son peintre verrier. Ils sont parfois oubliés ou juste vaguement nommés alors que leur travail est bien souvent le commencement de l’acte créateur.
Image d’illustration : Le Parfum, vitrail de Francis Chigot d’après un dessin de Pierre Parot, 1927 (Limoges, Musée des Beaux-Arts, Inv. 2007.61). L’œuvre est malheureusement présentée en face externe de même que p. 206 du catalogue.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Elisabeth Pillet (4 juillet 2023). Un monde de lumières. Vitraux de Francis Chigot et de son atelier. Corpus vitrearum – France. Consulté le 15 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/nfvp