par Jean-François Luneau, conservateur général du patrimoine, Centre André Chastel

Dans son article incontournable « Petite histoire des verrières de protection », Isabelle Pallot-Frossard publie un tableau des Principaux édifices équipés de verrières de protection¹. Elle recense des édifices européens et dresse un bilan de l’efficacité de ces verrières. Elle met également en avant l’existence de proto-verrières de protection, posées majoritairement au XIX^e siècle, notamment en Italie et en Grande-Bretagne.

Nous souhaiterions ajouter quelques exemples glanés en France au cours de tournées régionales, dans une zone au climat de montagne caractérisé par des hivers froids et des étés frais. Ce climat est sans doute en train de s’adoucir avec le changement climatique, mais il est certain qu’il a marqué durablement l’architecture des zones de moyennes et de hautes montagnes françaises.

On rencontre ainsi des proto-verrières de protection dans le département du Cantal, notamment dans les communes proches du Puy Mary (église Saint-Cirgue à Dienne, église Saint-Léger de Cheylade), ou encore sur la planèze de Saint-Flour (églises sainte-Anne de Fressanges et Saint-Baudeil de Neuvéglise, sur la commune de Neuvéglise-sur-Truyère)². Dans le département voisin de la Lozère, l’église de Javols en Margeride possède aussi de telles verrières. Enfin, nous en avons également repéré dans une église de basse Auvergne, à Clermont-Ferrand même, aux fenêtres de la chapelle de l’Immaculée Conception, rue Delarbre (fig. 1). Malgré la faible altitude de cette ville, celle-ci bénéficie d’un climat semi-continental aux hivers rigoureux et aux étés très chauds.

Ces verrières sont parfois de simples verres à vitre maintenu à la maçonnerie à l’aide d’un châssis métallique (c’est le cas à Dienne notamment), mais le plus souvent il s’agit de verre armé (Fressanges, Neuvéglise, Javols). Cette technique permet de dater approximativement la pose de ces verrières de protection, les brevets pour le verre armé datant de la fin du XIX^e siècle (brevet Appert, 1894). À moins d’avoir remplacé des feuilles de verre simples, ces verrières ne peuvent être antérieures à 1894.

Le rôle de ces verrières est double. Elles assurent d’une part une protection thermique en doublant les vitraux. La fréquence de ces verrières dans les hautes terres du Massif central prouve que, de ce point de vue, elles ont rempli leur rôle. Elles constituent également une protection mécanique efficace, comme en témoigne la verrière de protection de Neuvéglise enfoncée par un malencontreux ballon, qui a réellement empêché le vitrail d’être pulvérisé, lequel vitrail n’est pas indemne d’autres casses, à l’intérieur, mais résultant d’une autre cause ! (fig. 2 et fig. 3).

En outre, les responsables des édifices qui ont posé ces vitres armées n’ont pas agi en fonction de la qualité ou de l’âge des vitraux : les verrières de protection jouent leur rôle pour le meilleur et le pire de la production. Ainsi, l’église de Fressanges comporte-t-elle quelques verrières communes du début du XX^e siècle (fig. 4).

Elle possède également un vitrail très original posé en 1949 par Charles Borie, peintre verrier du Puy-en-Velay, consacré à saint Léonard, protecteur des prisonniers. La verrière montre, au prix d’un contresens iconographique³, un saint franciscain en lévitation au-dessus d’un camp de prisonniers où des soldats en uniforme attendent la fin de la Seconde Guerre mondiale (fig. 5 et fig. 6).

Enfin, les quatre baies du chœur de l’église ont été pourvues en 1969 de vitraux en pâte de verre de François Décorchemont. Il s’agit, avec les vitraux de l’église d’Albepierre, d’un des deux chantiers réalisés dans le Cantal par ce verrier résidant dans l’Eure, dont l’œuvre est concentrée soit en Normandie soit à Paris (fig. 7 et fig. 8)⁴. Les verrières de protection en verre armé transcendent donc les frontières du temps et du goût !

Reste à savoir si de telles vitres armées peuvent jouer un rôle identique à celui des actuelles verrières de protection. Comme l’écrit Isabelle Pallot-Frossard, elles relèvent de ces « dispositifs rudimentaires » non ventilés. Cependant, si aucune de ces verrières ne ménage une circulation d’air, elles absorbent quand même les chocs thermiques à la place des vitraux placés derrière elles. Il serait intéressant et utile de pousser plus loin l’analyse et de vérifier si les peintures des vitraux en question ont bien tenu dans le temps. D’une manière très empirique, nous jugeons que les vitraux de la chapelle de Clermont-Ferrand, réalisés par un atelier local, comportant de nombreuses grisailles colorées et plusieurs types d’émaux, semblent avoir bien résisté au temps. En outre, les vitraux de Décorchemont de l’église de Fressanges connaîtront peut-être moins de désordre mécanique que d’autres vitraux du même artiste en raison de cette protection, même rudimentaire.

Quoi qu’il en soit, il faut redire haut et fort l’utilité des verrières de protection pour les vitraux anciens. Celles-ci sont sans doute les héritières des proto-verrières de protection qu’on vient d’évoquer, et elles constituent l’unique moyen de soustraire les vitraux anciens aux chocs thermiques si l’on veut maintenir ce patrimoine en place dans les édifices.

1. Isabelle Pallot-Frossard, « Petite histoire des verrières de protection », Monumental, 2004/1, p. 90-99. [↩]
2. Je remercie vivement Mesdames Véronique Breuil-Martinez et Guilaine Pons, conservatrice et conservatrice déléguée des antiquités et objets d’art du Cantal, pour leur aide à l’occasion de ces repérages. [↩]
3. D’après Jean Chaize, Le vitrail dans l’œuvre de Charles Borie, Le Puy, Société académique, 1988, p. 59, nous savons que la commande prévoyait un saint Léonard. D’après le contexte iconographique (la représentation de prisonniers dans un camp en Allemagne, sans doute un rappel d’un épisode de la vie du donateur, M. Rochette), il ne peut s’agir que du saint réputé mérovingien, traditionnel protecteur des prisonniers, et honoré comme tel en Limousin. Le peintre verrier a en fait représenté un saint franciscain, sans doute saint Joseph de Cupertino, religieux italien mort en 1663, réputé pour ses extases accompagnées de phénomènes de lévitation, qui fut canonisé en 1767. [↩]
4. Il est vraisemblable que ces chantiers sont commandités par des Cantalous émigrés à Paris où ils ont pu voir les verrières de Décorchemont de l’église Saint-Odile, dans le XVII^e arrondissement. [↩]

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