par Alix Bancarel, auteur de Dialogues et correspondances entre les arts visuels et sonores dans l’œuvre de Richard Burgsthal et de Richard Burgsthal et l’illustration, mémoires de Master 1 et de Master 2, rédigés tous deux sous la direction de Michel Hérold et de Jérémie Cerman, Sorbonne université, 2021 et 2022.
Dialogues et correspondances entre les arts visuels et sonores dans l’œuvre de Richard Burgsthal
Artiste inclassable aux multiples facettes, Richard Burgsthal (de son véritable nom René Billa) est un musicien, peintre et peintre-verrier qui expérimenta en autodidacte divers supports et techniques artistiques. Dans le cadre de notre mémoire de master, nous avons voulu retracer tout d’abord son apprentissage de la musique et le rôle déterminant de celle-ci pour son œuvre ; elle a en effet façonné sa conception de l’art et déterminé ses recherches esthétiques.
À l’origine de son désir de création et de sa découverte du dessin se trouvent deux passions : celle pour le piano (fils d’une pianiste, il étudie au Conservatoire de Paris) et celle pour Wagner (dont il s’inspire pour créer son pseudonyme artistique aux consonances germaniques).
Comme il l’explique lui-même, sa peinture est le fruit de visions symphoniques mystérieuses, « presqu’abstraites ». De ces visions et transcriptions musicales spontanées naissent des couleurs suggestives et des formes non-figuratives expérimentales. Ce premier geste créatif ouvre également son apprentissage de l’aquarelle qui deviendra sa technique de prédilection, et annonce ses talents de coloriste. Faisant écho au phénomène de synesthésie, notamment employé chez les symbolistes, Burgsthal tisse des liens entre les sons et les couleurs et plus largement entre diverses expressions artistiques.
Notre travail a mis ensuite l’accent sur deux rencontres déterminantes dans la carrière de l’artiste : celle avec son épouse, la compositrice Rita Strohl (1865-1941), dont il illustre les opéras et transcrit les œuvres pour le piano, puis celle avec Gustave Fayet (1865-1926), mécène et collectionneur d’art, propriétaire depuis 1908 de l’abbaye de Fontfroide (Aude). Ce dernier lui commande dès 1910 une série d’œuvres pour orner ses salles et mener à bien son projet de « restitution à l’art » de l’abbaye. Se forme alors, notamment autour de la figure d’Odilon Redon (1840-1916) chargé de réaliser un triptyque mystique pour la bibliothèque de l’abbaye, un cercle d’artistes wagnériens à l’origine d’une création foisonnante et intimement guidée par un projet commun de synthèse des arts.
Notre propos s’est concentré sur la genèse d’un ensemble d’œuvres réalisées par Burgsthal entre 1910 et 1918 pour la salle de musique de l’abbaye, lieu conçu à la fois comme un temple sacré de la musique et comme une œuvre d’art totale moderne, une cosmogonie harmonieuse. Comprenant des peintures murales, des aquarelles et des vitraux, ce programme iconographique témoigne des ambitions wagnériennes de l’artiste. L’analyse des diverses sources d’inspiration musicale de ses créations (Liszt, Berlioz, Wagner, Rita Strohl) retrace en creux ses affinités artistiques. L’originalité de ses œuvres réside également dans la réalisation de vitraux sur un support inédit, des vitraux-papier, aquarelles sur papier de chine, dont la transparence évoque la luminosité des vitraux à venir.
Si son apprentissage de l’art du vitrail au sein de la verrerie des Sablons (Bièvres) lui permet d’accéder à une certaine notoriété et par la suite à une carrière de restaurateur de vitraux au service des Monuments historiques (1930), elle n’en demeure pas moins révélatrice de créations uniques inspirées du savoir-faire des peintres-verriers médiévaux.
Burgsthal intègre ainsi le panorama artistique du tournant du siècle, oscillant entre les traditions romantiques et symbolistes et l’expérimentation de formes non-figuratives. La musique, art immatériel tissant un lien avec un monde de l’au-delà invisible, confère une valeur organique et spirituelle à son œuvre. Cette spiritualité marque bien d’autres aspects de ses recherches.
Richard Burgsthal et l’illustration
À l’aune d’une période charnière de la scène artistique, Burgsthal bénéficie de l’essor du livre illustré marqué par un dépassement des codes traditionnels de l’illustration en vogue au XIXe siècle. Si la musique imprègne son œuvre, la littérature constitue un autre fil conducteur complémentaire guidant ses créations. Nous avons entrepris l’étude des divers usages et manifestations de textes emblématiques de son époque au sein de ses œuvres plastiques. Il s’agissait d’analyser comment s’opérait son cheminement de la simple illustration vers l’objet abouti du livre illustré, appréhendé comme une œuvre d’art monumentale, cristallisant ses ambitions wagnériennes et son héritage romantique, à l’instar du vitrail.
Cette nouvelle approche thématique de son œuvre, qui a permis d’entrer au cœur de sa bibliothèque et de ses lectures personnelles, éclaire ses relations et collaborations avec divers cercles ésotériques littéraires et courants de pensée occulte du début du siècle, notamment avec Edmond Bailly et sa Librairie de l’Art indépendant, ou encore avec Octave Maus et le Cercle ésotérique belge de la Libre Esthétique. La passion évidente de Burgsthal pour une littérature hermétique initie sa pratique de l’illustration. En témoigne son approche empirique du texte philosophique de Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra,qu’il illustre en 1906 à travers une série d’encres de chine expérimentales sombres et délirantes. L’artiste se confronte aussi bien à des classiques de la littérature, tels les romans de Flaubert à l’imaginaire oriental, qu’à des textes moins connus comme Les Clefs de l’Orient (1910) de Saint-Yves d’Alveydre et le drame indien, Sacountala de Kalidasa (1911), ou encore à des textes résistant par essence au domaine et aux codes de l’illustration, tel Le Crépuscule des dieux de Wagner, dont il orne une partition en 1910.
Gustave Fayet partage ce goût pour une littérature mystique puisqu’il lui demande de créer une série de planches d’aquarelles illustrant le roman de Flaubert, Salammbô (1912) ainsi qu’une version inédite manuscrite du texte sacré hindouiste, La Bhagavad-Gîtâ (1921), ornée d’illustrations.
Ces œuvres prennent part au programme iconographique de l’abbaye de Fontfroide comme des éléments essentiels décoratifs, symboliques et affectifs d’un ensemble harmonieux et témoignent de la valeur transversale de ces livres illustrés, objets d’art hybrides et monumentaux. Empruntant au langage architectural, au décor, au vitrail et à la mise en scène théâtrale, Burgsthal parvient à se démarquer de ses contemporains grâce à un traitement original de l’image, s’inspirant aussi bien des traditions des miniatures persanes que de l’enluminure médiévale, créant ainsi un style spirituel cosmique unique, à la croisée de l’Orient et de l’Occident.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Elisabeth Pillet (30 septembre 2022). Richard Burgsthal (1884-1944), un artiste autodidacte et complet. Corpus vitrearum – France. Consulté le 14 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/nfv4